Cold Cases en Occitanie – Affaire n°3

L’Affaire Borras : la plus grande erreur judiciaire du XIXe s. (ou presque…)

Lieu de l'affaire : Aude

Enquête : Archives départementales de l'Aude

Création : Michel Moatti

L’affaire Borras… Quelle affaire ! Tous les ingrédients de l’erreur judiciaire y sont …

Ahhh, si on pouvait invoquer les fantômes pour les faire parler ! Imaginez qu’une journaliste interviewe l’avocat de cette affaire, Théophile Marcou, par exemple … Il ne vous reste plus qu’à écouter !

Sous la loupe des archivistes


L’affaire Borras est l’histoire de la condamnation de Joseph Borras, ouvrier espagnol accusé à tort d’avoir assassiné un couple de régisseurs narbonnais.

Précédant de quelques années la célèbre affaire Dreyfus (1894-1906), celle que l’on appellera par la suite « l’affaire Borras » (1887-1891) est une illustration concrète de xénophobie envers les Espagnols. Son retentissement national contribua à l’application du décret Floquet (2 octobre 1888) sur le recensement des résidents étrangers, soit l’obligation pour ceux émettant le désir de s’installer en France de se déclarer à la mairie la plus proche dans les quinze jours suivant leur arrivée sur le territoire. Elle a toutefois permis une réforme majeure de la justice pénale, qui intervint le 8 juin 1895 en introduisant la possibilité d’une révision en cas de découverte d’un fait nouveau « de nature à établir l’innocence du condamné ».
Enfin, la mort de Théophile Marcou, homme politique audois, homme de presse et avocat de Borras, survenue quelques jours après avoir plaidé la cause de son client, apporta une sacrée touche dramatique !

Michel Moatti a pu s’appuyer sur des archives variées pour nourrir son récit, comme le premier arrêt de condamnation de Joseph Borras (août 1887), ainsi que Les drames de la Cour d’Assise de l’Affaire Borras, un ouvrage illustré de près de 1000 pages relatant tout le suivi du procès, et de nombreux titres de presse, comme la Fraternité, dirigé par Marcou ou le Vigneron Narbonnais.

Pour les Archives départementales de l’Aude Marcel Rainaud, revenir sur cette affaire était une évidence : cette histoire est régulièrement utilisée avec les scolaires pour travailler sur les discriminations, qui résonnent encore aujourd’hui…

Les Archives départementales de l’Aude Marcel Rainaud

Le mot de l’auteur


– Vous avez entendu parler de « l’Affaire Borras » ? m’a demandé Mélanie Marchand, chargée de mission Bibliothèques et Patrimoine à Occitanie Livre & Lecture.

– Vaguement… ai-je répondu, prudemment.

Un essaim de souvenirs confus s’est mis à voleter autour de moi. Des bourdonnements indécis : xénophobie. Rumeurs. Erreur judiciaire… Pas mieux. Pas plus.

Il s’agit de cet ouvrier agricole espagnol, qui a été accusé à tort, a relancé Mélanie Marchand, m’incitant à faire un effort. Ce crime, à Carcassonne, à la fin du XIXème…

Le tableau se précisait. Un pauvre diable. Un coupable idéal. Condamné tout à la fois par les préjugés et la bêtise. Tout un contexte socio-historique. Oui : je pouvais écrire là-dessus. J’étais chez moi. Dans ces plis de l’Histoire, où les destins se jouent, contraints par leur époque, par les conjonctures et les antagonismes sociaux. J’avais écrit sur ces matériaux-là. Des femmes victimes tout à la fois d’un tueur en série appelé Jack l’Éventreur et des conditions sociales de leur temps et de leur quartier. Ou des soldats français sortis vivants de quatre années d’enfer et bien décidés à déserter à la veille de la dernière offensive alliée. Des contingences et des mauvaises rencontres comme la vie en pose sur nos routes et qui font, au final, l’Histoire qu’on raconte dans les livres.

Joseph Borras, le « pauvre diable », accusé et condamné sans avoir les mots pour répliquer et se défendre. Et Théophile Marcou, sénateur radical de l’Aude, ancien maire de Carcassonne. Avocat des sans-grades, partant à l’assaut des accusations fragiles dictées par la haine et l’intolérance, à l’assaut d’une fin de siècle que les notables et les patriotards voulaient toute à eux.
Marcou a défendu Borras. Il l’a fait gracier, alors que la guillotine se montait déjà en place publique.

Une petite histoire, peut-être, mais qui a bousculé la grande : les conclusions de Marcou dans l’Affaire Borras ont entraîné une révision complète de notre procédure pénale et permettra la réouverture du procès d’assise, telle qu’on la connait aujourd’hui.

Michel Moatti

sources

  • Arrêt de condamnation de Joseph Borras, Vincente Guillaumet et Francisco Villarubia, 15 août 1887, Cour d’Assise de l’Aude (2U31) > consulter en ligne
  • La Fraternité, journal de l’Aude, journal de Théophile Marcou, 1885 à 1887 (528 PER 13) > consulter en ligne
  • La Fraternité, journal de l’Aude, article du 13 Août 1887 > consulter en ligne
  • Le Radical du Midi, journal quotidien,1887 à 1889, (529 PER 02 à 04) > consulter en ligne
  • Le Vigneron Narbonnais, journal narbonnais hebdomadaire, 1887 à 1893, (530 PER 02 à 04) > consulter en ligne
  • Le Vigneron Narbonnais, article du 2 juin 1887 > consulter en ligne
  • Le Rappel Audois, journal carcassonnais quotidien, 1887 à 1893 (557 PER 03 à 15)
  • Le Rappel Audois, article du  5 décembre 1890 > consulter en ligne
  • Le Courrier de l’Aude, Journal politique administratif, littéraire, commercial et agricole, 1887 à 1893 (570 PER 15 à 19) > consulter en ligne
  • Le Courrier de l’Aude, article du 6 novembre 1888 > consulter en ligne
  • Le Monde illustré n°1734 21 juin 1890 in Les drames de la Cour d’assises : l’affaire Borras. (N°127) > consulter en ligne
  • Les drames de la Cour d’assises : l’affaire Borras. Paris, Fayard frères. In-4°, 2000 p. (fig., relié ). (N°127)
  • Huret, Jules. Le dossier de l’affaire Borras-Pradiès. Paris, E. Kolb. In-12°, X-216 p. (Les grands procès) .s.d.  (N°940)
  • De Fréminville, Solange. L’affaire Borras. Migrations Société, 2013/1 N° 145, 2013. p.17-36. > consulter en ligne
  • Dossier « Jeunesse, jeunesse ! Sois toujours avec la justice. » mis en ligne par les Archives départementales > consulter en ligne