Cold Cases en Occitanie – Affaire n°7

Interview exclusive : Radio Fabuleuses interroge le Nabab

Lieu de l'affaire : Gard

Enquête : Bibliothèque du Carré d'Art de Nîmes

Création : Maïté Bernard, autrice ; Réalisation sonore : Slope Audio Training

« Bonjour à toutes, bonjour à tous, bienvenue sur Radio fabuleuses !

Pour ceux qui écouteraient ma chronique pour la première fois, je suis Félicia Ruiz, un personnage féminin créé par Alphonse Daudet pour son roman
Le Nabab.
Nous accueillons aujourd’hui François Bravay, qui aurait inspiré le personnage principal de ce même roman. Mais vous êtes un peu un mystère… »

sous la loupe de la bibliothécaire

Si les abondants lecteurs ont cru y reconnaître tel ou tel, Daudet a toujours assuré qu’il ne s’était inspiré que de François Bravay.

Après la faillite familiale, ce Gardois, parti à l’aventure, a rejoint l’Égypte où, après de nouveaux échecs, il a finalement fait fortune, se fait une heureuse réputation et rétablit l’honneur familial. Soucieux de son image, il désire les honneurs politiques, mais son ambition va lui coûter la vie. Attaqué par la justice, il sait flatter ses compatriotes en payant une somme vertigineuse pour restaurer un aqueduc romain et il reçoit également le vice-roi d’Égypte dans son château provençal. D’un naturel bon et généreux, il a le cœur tendre, et il est attaché à sa famille et à sa région, malgré son goût de l’aventure, son luxe et sa réussite.

Le Nabab ? La coqueluche de Paris, son nom est sur toutes les lèvres. Méprisable aux yeux des « vrais grands », il intrigue, fascine, attire avec ses millions. Après avoir fait fortune à Tunis dans des conditions obscures mais honnêtes, Bertrand Jansoulet fait son apparition à Paris. Avide de soutien et d’amitié, il distribue son argent. Pressuré de tous les côtés, sa naïveté, sa générosité et l’audace dont il fait preuve ont raison de sa fortune. Épuisé par une suite effrénée de succès et de revers, abandonné par ses « amis » – même son mariage est un échec -, il se retrouve seul, désespérément seul, renié et ruiné. De miséreux à parvenu, il reste toujours un paria ; il lui est encore plus difficile de se défendre contre la bonne fortune que contre la mauvaise. Cette histoire menée avec des coups de plumes châtiés et efficaces, se greffe à la vie de Paris, le Paris des plaisirs, débauches, intrigues, mensonges, misères aussi, le Paris qui a volé Bertrand à sa mère.

Jansoulet et Bravay, la fiction et le fait-divers, le personnage imaginaire et le protagoniste l’ayant inspiré : si l’Histoire traîne ce dernier aux gémonies, Daudet offre à son reflet romanesque comme une humanité retrouvée.

Marie-Agnès Bonnot, étudiante en Master à l’Ecole nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques, en stage à la Bibliothèque Carré d’Art, Nîmes

le mot de l’autrice

Quand Mélanie Marchand m’a contactée pour écrire sur Le Nabab, j’avoue que j’ai été un peu décontenancée. Oui, mon père est né à Nîmes. Oui, je suis née à Nîmes aussi. Oui, enfant, quand nous rendions visite à ma tante, également nîmoise, nous allions promener aux jardins de la Fontaine. Oui, j’ai passé mes treize premières années dans le Gard, et comme tous les enfants de ma génération, nos instituteurs nous amenaient pique-niquer au Pont du Gard, visiter les arènes de Nîmes et nous faisaient lire Le secret de maître Cornille, La Chèvre de monsieur Seguin ou Tartarin de Tarascon. Personnellement, des Lettres de mon moulin, mon conte préféré, c’est La mule du pape, mais ce n’est pas le sujet.

Le sujet, c’était Le Nabab. Alors celui-là en revanche, je ne l’avais pas lu. « Tu sais que son histoire a été inspiré par un personnage réel? » me dit mon père quand je lui racontai pourquoi j’avais été contactée. Oui, le Bernard Jansoulay inventé par Daudet avait été inspiré par François Bravay, et ce François Bravay, me dit-il, était né à Pont Saint Esprit, où on pouvait toujours voir une de ses maisons et sa tombe. Ça alors… Pont, je connaissais, parce que c’était là que m’amenait le car scolaire pour aller au collège avant que la vie ne nous emporte à Buenos Aires, mais ce n’est pas le sujet non plus. Non, le sujet, c’était ce nabab qui dans le roman comme dans la vraie vie, avait fait fortune de façon suspecte aux colonies avant de tout perdre et de terminer sa vie dans l’indigence la plus totale.

Je me rendis donc devant la fameuse maison avec mon père et mon chien, puis, même si c’est interdit (mais ce n’est toujours pas le sujet) devant sa tombe. Mon père commanda le roman, difficilement trouvable, et nous nous mîmes à le lire, moi plutôt le matin, lui l’après-midi, quand il se réveillait de la sieste, avant d’aller rejoindre à la télé le Tour de France. Surtout, nous nous rendîmes à la bibliothèque Carré d’art de Nîmes, sans mon chien mais avec ma sœur cette fois, où nous eûmes le privilège de feuilleter deux exemplaires du roman richement illustrés par Berthold Mann et Pierre Rousseau.

C’est au fur et à mesure de ces pérégrinations, et alors que nous avancions dans notre lecture, que nous réalisâmes que nous parlions beaucoup plus des personnages féminins, Félicia, Aline, dite Bonne-Maman, la baronne Hermelingue, Constance, etc. que… du sujet. Le Nabab, bon sang, ce fichu Nabab! Mais comme tout créateur le sait, le sujet qui s’impose est celui dans les bras duquel il faut se laisser aller. Je décidai donc de rendre la parole à Félicia Ruys, la sculptrice du roman, qui semblait la réclamer avec insistance, et de nous donner à voir ce vrai François Bravay sous ses yeux à elle, malicieux mais bienveillants. J’espère que le résultat vous divertira, et j’espère surtout que vous aurez envie de lire le chatoyant roman de Daudet.

Maïté Bernard, autrice

sources

  • Cour impériale de Nîmes. Chambre correctionnelle. Affaire Bravay et Consorts. Nîmes : Typ. Soustelle, 1862. (Bibliothèque du Carré d’Art, RES 44275_11).
  • A. Daudet, Le Nabab : mœurs parisiennes, Paris : Charpentier, 1877. (Bibliothèque du Carré d’Art, RES 127480). Édition originale à Nîmes avec une lettre de Daudet : « Le Nabab a pris plus de temps qu’on ne pensait. Il est fini. Maintenant, moi, je surveille les épreuves, l’impression. Il va paraître dans quelques jours et il faut que je sois là car c’est un livre qui fera crier. Il ne faut pas avoir l’air de fuir ». Édition BnF > consulter en ligne
  • A. Daudet, Le Nabab : mœurs parisiennes, Illustrations de Renefer, Paris : Flammarion, 1926. (Bibliothèque du Carré d’Art, RES 105575).
  • A. Daudet, Le Nabab : mœurs parisiennes, Illustrations de Berthold Mahn, Paris : Librairie de France, 1930. (Bibliothèque du Carré d’Art, RES 107567_07).
  • A. Daudet, Le Nabab : mœurs parisiennes, Illustrations de Pierre Rousseau, Paris : Henri Cyral, 1931. (Bibliothèque du Carré d’Art, RES 128914).
  • A. Daudet, Le Nabab : mœurs parisiennes, Paris : Fasquelle, 1949. (Bibliothèque du Carré d’Art, 106927/1 et 2).
  • L.A.S. de Frédéric Mistral à Alphonse Daudet, 28 novembre 1877. (Bibliothèque du Carré d’Art, Ms_1131). 3 pages et demie sur 2 f. in-8, écrite à l’encre brune. Très belle lettre, presque entièrement consacrée au roman de Daudet : Le Nabab (Charpentier, 1877). « Je ne sais quel sera le sentiment des lecteurs du Nabab qui n’ont pas connu B[ravay], mais pour moi qui ai vu de près ce météore financier et dépensier, la lecture de ton nouveau chef-d’œuvre a été délicieuse ».
  • E. Anceau, Dictionnaire des députés du Second Empire, Rennes : PUR, 1999, p. 57-58. 
  • Auriant, François Bravay ou le Nabab, Paris : Mercure de France, 1943, réédition 1963.
  • J. El Gammal, « La couverture du Nabab d’Alphonse Daudet par Raymond Renefer (1926) », dans Parlement[s], Revue d’histoire politique, 24 (2), p. 117-119. > consulter en ligne
  • A.-S. Dufief, Alphonse Daudet romancier, Paris : Champion, 1997.
  • C. Lasalle, « François Bravay, un nouveau riche du Second Empire qui servit de modèle à A. Daudet pour Le Nabab : compte rendu de communication », dans Bulletin de la Société d’Histoire moderne et contemporaine de Nîmes, 1981.  
  • M. Mopin, Littérature et politique – Deux siècles de vie politique à travers les œuvres littéraires, Paris : La Documentation française, 1996.
  • P. Sarradet, François Bravay, célèbre gardois, Le Nabab d’Alphonse Daudet, Nîmes : Cour d’appel de Nîmes, 1961. (Bibliothèque du Carré d’Art, 100573).